Salut,
Je profite de ce mail pour rappeler quelques éléments sur la GPL. Fil et Antoine ont rappelé pas mal d'éléments ces derniers temps, mais il y a notamment ce point de la redistribution qui semble ne pas être bien compris.
- 1. Avant toute chose, c'est le code de la propriété intellectuelle qui s'applique. Il n'est pas nécessaire d'attendre une "loi sur la GPL" pour que, déjà, la production intellectuelle d'auteurs appartienne à ses auteurs (en Europe, le logiciel en tant que tel est réglementé actuellement uniquement par le code de la propriété intellectuelle), et qu'ils définissent eux-mêmes les conditions d'utilisation de cette oeuvre.
Or le code de la propriété intellectuelle est extrêmement restrictif: sans accord des auteurs, il est carrément interdit de copier ou d'utiliser l'oeuvre.
- 2. Pour que quiconque puisse utiliser, copier, redistribuer, modifier, etc. cette oeuvre qu'est le logiciel, il faut donc un contrat entre les auteurs et l'utilisateur. La forme la plus juridiquement correcte est le contrat, signé par les deux parties; c'est même la seule qui est définie dans le code de la propriété intellectuelle. Contrat signé par un auteur et son commanditaire, entre un auteur et l'éditeur, etc.
Mais très souvent, l'auteur ne pouvant pas demander à tous les utilisateurs de son oeuvre de signer un papier, ce "contrat" prend une forme plus souple, qui est une licence qui fonctionne sur le schéma suivant: à priori l'utilisateur n'a aucun droit sur l'oeuvre (pas même celui de l'utiliser), donc s'il l'utilise, c'est qu'il accepte tacitement la licence:
* soit c'est la "règle habituelle", qu'on suppose connue de tous, rappelée sommairement sur le packaging de l'oeuvre - "ce disque ne peut être redistribué", "ce film est à usage familial"...
* soit c'est une licence très claire et complète fournie avec l'oeuvre, comme c'est le cas pour la GPL (le texte de la licence GPL est fournie avec le logiciel, et ce logiciel contient des liens vers sa licence).
Le contrat n'étant pas signé entre les deux parties, il n'a pas de valeur juridique directe (l'utilisateur d'un logiciel libre n'a pas signé la licence avec les auteurs). Mais sa valeur s'acquiert _par défaut_: si l'utilisateur ne respecte pas la GPL, alors la licence est nulle et non avenue (c'est écrit dans la licence: soit l'utilisateur respecte _l'intégralité_ de la licence, soit tous ses droits sont annulés); et si la licence est annulée, alors l'utilisateur n'a de toute façon ni le droit d'utiliser, ni de redistribuer, ni de modifier l'oeuvre.
La validité juridique de la GPL (en tant qu'accord tacitement accepté par l'utilisateur) repose sur ce paragraphe:
"5. You are not required to accept this License, since you have not signed it. However, nothing else grants you permission to modify or distribute the Program or its derivative works. These actions are prohibited by law if you do not accept this License. Therefore, by modifying or distributing the Program (or any work based on the Program), you indicate your acceptance of this License to do so, and all its terms and conditions for copying, distributing or modifying the Program or works based on it."
C'est l'astuce juridique de la GPL: pour garantir l'ouverture maximale de l'oeuvre, elle repose sur les lois existentes qui, elles, sont hyper-restrictives. D'où, parfois, des textes un peu paradoxaux de la part des partisans du logiciel libre, mélangeant le soutien à des textes protégeant outrageusement la propriété intellectuelle, alors que le combat est celui de l'ouverture.
Et, en tout état de cause, le besoin incontournable de reposer sur la fermeture imposée par le code de la propriété intellectuelle en cas de non respect de la licence, pour contrer les tentatives de propriarisation du code par des requins.
- 3. Donc, c'est très simple: soit l'utilisateur décide de respecter la GPL, et alors celle-ci lui donne des droits énormes, soit alors il n'a rigoureusement aucun droit et ne peut même pas utiliser le logiciel (c'est alors de la contrefaçon pure et simple).
- 4. Je ne reviens pas sur les aspects positifs de la GPL, déjà largement documentés et, j'espère, connus ici (utilisation, accès au code source, modification, redistribution).
- 5. Un détail que je tiens à rappeler: nous ne fournissons jamais aucun "droit" spécifique pour SPIP. Par exemple, régulièrement un magazine nous demande une autorisation écrite de distribuer SPIP sur le CD livré avec leur magazine. Nous refusons systématiquement, expliquant que: ils peuvent déjà le faire, du moment qu'ils respectent la licence GPL.
En effet, toute autre "autorisation" écrite de notre part amènerait à une inégalité entre les utilisateurs: certains liés par la GPL, d'autres par une forme de contrat très différente. Outre l'aspect immorale d'un tel traitement inégal entre les utilisateurs (qui, de plus, reviendrait à accepter que des professionnels redistribuent SPIP sans faire l'effort de comprendre la notion de logiciel libre, alors que l'utilisateur lambda, lui, fait souvent cet effort), il y a surtout le problème de provoquer nous-même des incohérences juridiques (au pire: se retrouver liés à un "éditeur" et de ne plus pouvoir distribuer SPIP nous-même librement!).
- 6. Un point important et mal compris de la GPL: la version actuelle de la GPL (version 2) protège mal des outils comme SPIP, et beaucoup de requins se sont déjà engouffrés dans cette brèche.
La GPL ne fait pas _obligation_ de redistribuer le logiciel. Elle indique que l'utilisateur _peut_ ("you may copy and distribute") redistribuer, pas qu'il a l'obligation de le faire.
Cela est logique: sinon n'importe qui pourrait me réclamer les sources de ma version de Linux... ce pour quoi je ne suis pas équipé (je peux bien graver quelques CD pour les amis, mais je ne suis pas une usine à CD).
Pour la plupart des logiciels, cela se résolvait ainsi: le logiciel ne pouvant pas être utilisé hors réseau sur une machine sans qu'il se trouve "physiquement" sur cette machine, alors le logiciel se diffusait de lui-même de proche en proche. Il y avait presque toujours quelqu'un d'autre que le prestatire de service pouvant, à un moment donné, accéder au logiciel et le copier.
Mais avec les logiciels installés sur des serveurs, c'est un autre problème: je peux faire tourner le logiciel, le modifier éventuellement, vendre ce service à des clients, sans jamais que ces clients n'aient accès au code du logiciel lui-même. Je peux par exemple monter un système d'hébergement de sites Web avec SPIP pré-installé, vendre ce service, sans que les clients n'aient accès à SPIP. Ni, même, que quiconque ait accès aux modifications que j'ai réalisées. Je peux, plus simplement, installer des sites Web avec des versions modifiées de SPIP sans fournir l'accès aux sources de ces modifications à quiconque.
C'est une insuffisance dramatique qui amène à une non-redistribution d'évolutions de ce type de logiciel libre, parfaitement contraires à l'esprit du logiciel libre, mais juridiquement difficiles à attaquer. SPIP est déjà confronté à ce genre de détournements.
Une licence dérivée de la GPL comble cette brèche: c'est la licence Affero GPL:
http://www.affero.org/oagpl.html
Elle ajoute le paragraphe suivant:
* d) If the Program as you received it is intended to interact with users through a computer network and if, in the version you received, any user interacting with the Program was given the opportunity to request transmission to that user of the Program's complete source code, you must not remove that facility from your modified version of the Program or work based on the Program, and must offer an equivalent opportunity for all users interacting with your Program through a computer network to request immediate transmission by HTTP of the complete source code of your modified version or other derivative work.
La FSF soutient cette licence, mais la décrit comme non-compatible avec la GPL (puisque plus restrictive). SPIP étant essentiellement distribué via le Web, on pourrait l'adopter, mais de nombreuses raisons poussent à ne pas le faire: symboliquement utiliser une licence autre que la GPL démotiverait beaucoup de monde, difficultés pour les éventuelles redistributions dans des "packages" sous GPL, utilisateurs liés par une charte (genre administration) qui dirait "GPL et rien d'autre", etc.
Donc, pour l'instant, on attend la version 3 de la GPL, qui promet d'intégrer une telle protection (protection destinée, encore une fois, à assurer l'ouverture maximale du logiciel).
Mais pour l'instant, soeur Anne ne voit toujours rien venir...
7. Pour finir: ne pas confondre la protection juridique garantie par la GPL (appuyée sur le code de la propriété intellectuelle), et l'esprit du logiciel libre. Encore une fois, on peut rester dans les limites légales et se comporter par ailleurs comme un sagouin.
Amicalement,
ARNO*